Le mot « poésie » ferait-il si peur que notre atelier d’ordinaire
complet compte trois chaises vides en ce samedi de fin d’hiver ?
Renverrait-il chacun à de mauvais souvenirs scolaires, au malaise
parfois ressenti face à un genre difficile pour ne pas dire abscons,
qu’on se sait trop définir tant il évolue et fraye avec d’autres genres
parfois peu fréquentables - d’ailleurs les poètes eux-mêmes le
sauraient-il ? Si pour M. Jourdain les choses étaient claires, la
déduction inverse qui voudrait que tout ce qui n’est pas prose est
poésie n’est pas recevable. Alors, c’est quoi la poésie ? Vaste débat
qui pourrait occuper une commission d’Immortels pendant des siècles…
Seulement voilà, nous, en l’occurrence moi, puisque c’est moi qui ai
proposé ce thème d’atelier, eh bien je ne suis pas Immortel (du moins
pas encore et m’étonne à ce propos qu’aucuns de mes chers amis n’ait
proposé mon nom à l’Académie) et je n’ai pas des siècles à consacrer à
la question, tout juste quelques minutes, préférant écrire ou faire
écrire la poésie plutôt que d’essayer de la définir.
Et si la poésie,
tenté-je, était affaire de regard que l’on porte sur le monde et sur soi
? Et si la poésie était travail sur la langue pour exprimer ce regard ?
Et si la poésie était image et musique ? Et si la poésie était tout
cela à la fois et permettait de dire l’indicible avec peu de mots ? En
formulant ces hypothèses, j’ai bien conscience quant à moi de ne pas
dire grand-chose mais il faut bien que je présente ma séance d’atelier
aux dix personnes rassemblées pour l’occasion autour des tables
disposées en enfilade dans la médiathèque… Par ailleurs convaincu qu’à
la différence d’autres genres – récit bref, conte ou nouvelle - une
écriture poétique ne s’improvise pas en atelier, je conseille à chacun
une trame « à la manière de », en l’occurrence le long poème
d’Apollinaire intitulé Zone et le recours à une ou plusieurs anaphores
présentes dans le texte ou par soi inventées afin de conférer quelque
rythme au texte. Que les lecteurs de cette introduction qui ne me
comprennent pas se rassurent, moi-même éprouve à l’instant présent le
sentiment trouble d’être confus, bavard et pour tout dire «
langue-de-boiteux ». Heureusement, les dix personnes autour de la table
sont, elles, très fines et très désireuses de s’exprimer, et n’attendent
qu’une chose qu’aucune n’exprime, car toutes bien élevées : mais de
grâce qu’il se taise qu’on puisse enfin écrire ! Dont acte…
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